lundi 24 janvier 2011

Des enfants institutionalisés à long terme ... un triste parcours vers l'asile

À l’époque où les enfants de Duplessis sont nés, les grossesses hors mariage étaient très mal vues par la société. Ainsi, les femmes enceintes dans le cadre d’une liaison hors mariage devaient donner naissance loin du jugement des proches. Ces femmes, les « filles mères », se rendaient alors dans les grands centres (à Montréal ou à Québec) où se trouvait un hôpital de la Miséricorde. Ces institutions étaient les seules à assurer gratuitement des soins aux « filles mères ».

«...les mères disposaient généralement d’un délai de deux ans pour venir reprendre l’enfant... Cette période d’attente était nuisible pour le développement des enfants ... C’est ce qui a sans doute contribué à ce que ces enfants abandonnés se retrouvent avec des retards développementaux et à ce qu’ils soient perçus comme des « pseudo-déficients ».»Après l’accouchement, ne pouvant retourner dans leur village avec l’enfant « illégitime », deux choix s’offraient aux jeunes mères : rester en ville de façon permanente et y occuper des emplois précaires afin de subvenir aux besoins de leur nouvelle famille, ou encore retourner dans leur village d’origine après avoir laissé l’enfant à la crèche pour l’adoption. La plupart des jeunes « filles mères » optaient d’ailleurs pour ce dernier choix, malgré le déchirement qu’elles ressentaient.

Dans le cas de l’abandon de l’enfant à la crèche, les mères disposaient généralement d’un délai de deux ans pour venir reprendre l’enfant si elles le désiraient. Ce délai, bien que se voulant rassurant pour les mères au moment de laisser leur bébé à la crèche, s’est révélé néfaste pour beaucoup d’enfants. En fait, il se trouve que la majorité des femmes, vu le contexte social et économique de l’époque, étaient forcées d’abandonner de façon définitive leur enfant suite à ce délai de deux ans. Les enfants abandonnés à deux ans étaient difficilement adoptables, étant donné la préférence des adoptants pour les nourrissons. Cette période d’attente était nuisible aussi pour le développement des enfants privés de la stimulation qu’aurait pu leur offrir une famille adoptive. C’est ce qui a sans doute contribué à ce que ces enfants abandonnés se retrouvent avec des retards de développement et à ce qu’ils soient perçus comme des « pseudo-déficients ».

Plusieurs études en psychologie démontrent que grandir au sein de grandes institutions comme les crèches est associé à un développement cognitif et émotionnel plus difficile pour un enfant que grandir au sein d’une famille. Les grandes institutions ne favorisant pas une exploration optimale de l’environnement par les enfants, elles affecteraient négativement leur développement cognitif. Aussi, le climat de vie rigide et standardisé qui règne dans ces institutions favoriserait des difficultés à comprendre et à exprimer ses émotions. De plus, puisque les personnes en charge des enfants changent avec les quarts de travail, il semble qu’il soit difficile pour les jeunes de développer une bonne relation d’attachement avec une personne qui soit aussi significative que l’aurait été leur mère biologique. Selon certains auteurs, ce problème au niveau de l’attachement chez les enfants abandonnés en institutions se répercute durant toute leur vie, entre autres par des problèmes de comportement ou des difficultés relationnelles.

Dans les années 50 au Québec, le séjour des enfants dans les crèches se poursuivait généralement dans les orphelinats alors qu’ils avaient entre 3 et 9 ans. Comme les orphelinats étaient remplis à pleine capacité, certains enfants qui présentaient des troubles comportementaux, étaient envoyés dans les hôpitaux psychiatriques (les asiles). Malheureusement, dans ces murs aucune thérapie considérée comme valable aujourd’hui, n’était administrée à ces enfants. On retrouvait également dans ces endroits des garçons et des filles non-autonomes qui atteignaient respectivement 14 et 18 ans.

Les interventions maladroites des gouvernements et institutions

Une commission d’enquête (la Commission Garneau) a d’ailleurs exigé en 1944 que les enfants pour qui une éducation était possible, soient retirés des hôpitaux psychiatriques. C’est peu de temps après, en 1950, que l’école Mont-Providence à Rivière-des-Prairies a été fondée. Cette école dirigée par des religieuses avait pour mission d’apporter des enseignements adaptés aux enfants abandonnés qui en avaient besoin. Mentionnons que ces services, très coûteux à assumer, étaient financés au départ par une subvention du gouvernement fédéral donnée dans le cadre d’un programme destiné au domaine de la santé, et non au domaine de l’éducation.

«Lors du changement de mission de l’institution, on a créé des dossiers psychiatriques dans le but de prolonger le séjour de jeunes pensionnaires à Mont-Providence. En fait, les diagnostics de troubles psychiatriques graves donnés comme la déficience intellectuelle, n’étaient peut-être pas fondés...»En 1953, les religieuses en charge de cette école ont fait une nouvelle demande d’aide financière au gouvernement pour assurer la continuité de leurs services. Par cette nouvelle demande, le gouvernement fédéral a pris connaissance que l’argent qu’il avait d’abord accordé dans le cadre d’un programme de santé, avait été détourné et utilisé pour subventionner une école. Ottawa a en conséquence refusé d’avancer à nouveau des fonds. Pour obtenir malgré tout le financement fédéral, le Premier Ministre du Québec, Maurice Duplessis, a pris la décision de changer la vocation de l’école pour la transformer en institut psychiatrique. Le nom « enfants de Duplessis » tire d’ailleurs son origine de cette initiative.

Lors du changement de mission de l’institution, on a créé des dossiers psychiatriques dans le but de prolonger le séjour de jeunes pensionnaires à Mont-Providence. En fait, les diagnostics de troubles psychiatriques graves donnés comme la déficience intellectuelle, n’étaient peut-être pas fondés : les problèmes observés chez les jeunes représentaient davantage des conséquences normales du milieu de vie dans lequel ils avaient grandi. À cet effet, Jean Gaudreau, professeur en éducation à l’Université de Montréal, s’est rendu en 1961 à Mont-Providence, alors devenu un hôpital psychiatrique. Il dit y avoir constaté que certains jeunes évalués présentaient de bas scores aux tests de quotient intellectuel demandant des réponses verbales. Selon lui, cela peut s’expliquer par le fait que l’enfant, n’ayant pas été mis en contact avec un environnement riche, ne pouvait simplement pas nommer verbalement des objets qu’il n’avait probablement jamais vus. Les diagnostics de déficience intellectuelle étaient donc probablement mal établis. Cependant, cela reste aujourd’hui, bien difficile à prouver.

Malgré qu’il soit difficile de remettre en doute avec certitude que les diagnostics de troubles psychiatriques graves étaient inappropriés, il est évident que les conditions de vie à Mont-Providence, après sa conversion en hôpital psychiatrique, étaient très mauvaises pour les enfants. Dans cette lignée, M. Gaudreau déplore les mauvais traitements infligés aux enfants qu’il a pu observer lors de sa visite au sein de l’institution. Il rapporte, entre autres, avoir remarqué des odeurs fortes d’urine dues à l’énurésie nocturne[1], ce qui démontre aussi le manque d’apprentissage normal de la propreté des enfants. De plus, il rapporte avoir vu un enfant ligoté dans une camisole de force sans qu’il représente vraiment un danger pour la sécurité. Les témoignages donnés par des orphelins de Mont-Providence fournissent également des exemples démontrant avec éloquence que la vie était difficile eu sein de l’institution. Des jeunes devaient y effectuer des travaux ménagers excessifs comme effectuer la toilette des vieillards malades. Certains jeunes se faisaient attacher par une courroie à leur chaise et sortaient dans la cour pour jouer, tout en traînant cette chaise attachée à eux.

Une 2e Commission « libère » les enfants

En 1962, le rapport de la commission Bédard a été déposé. C’est ce rapport qui a mis fin, en exigeant la désinstitutionalisation des jeunes, aux souffrances qu’ils enduraient. Depuis lors, une partie des orphelins de Mont-Providence aurait réussi à se socialiser normalement. Cependant, une autre partie aurait vécu plus de difficultés d’adaptation à leur sortie de l’institution. Ce sont eux qui constitueraient les membres centraux du mouvement de contestation des orphelins de Duplessis.

En septembre 1999, la communauté religieuse québécoise a annoncé qu’aucune excuse ne serait faite aux orphelins, considérant le travail difficile qu’elle avait effectué au moment des faits reprochés.
En fait, des années après que les injustices vécues aient eu lieu, les orphelins, membres de ce mouvement de contestation, ont souhaité obtenir des réparations. Vers le début des années 1990, un recours collectif a donc été intenté et 240 plaintes individuelles ont été portées au tribunal criminel. Aux plaintes des enfants de Mont-Providence, se sont également jointes celles d’abus physiques ou sexuels concernant des faits survenus dans d’autres institutions psychiatriques. En effet, il faut mentionner que l’institution de Mont-Providence n’était pas la seule du genre à accueillir des enfants à l’époque. L’Hôpital Saint-Jean-de-Dieu à Montréal et le Foyer Sainte-Luce à Disraëli sont d’autres hôpitaux psychiatriques où des jeunes ont été internés. Reste cependant que le cas de Mont-Providence est souvent davantage rapporté par les médias.

En 1993, le Ministre de la Justice du Québec avait rejeté les demandes des orphelins et avait clos leur dossier. Mais, quelques années plus tard, le Protecteur des citoyens, Daniel Jacoby, a exigé des excuses publiques et des sommes en dédommagement de la part des communautés religieuses, car celles-ci étaient responsables des institutions à l’époque des faits reprochés. Les médecins qui auraient effectué les diagnostics de troubles psychiatriques des orphelins ont aussi été pointés du doigt par M. Jacoby.

En mars 1999, le Premier Ministre Lucien Bouchard a prononcé des excuses publiques et annoncé que des sommes d’argent seraient accordées aux victimes (sous la forme d’un fonds d’aide de 3 millions de dollars au total, pour les 3000 victimes). M. Bouchard a cependant exclu la tenue d’une enquête publique sur les événements, estimant qu’une démarche de soutien était préférable pour les victimes. Il a également salué le travail énorme des religieuses et religieux de l’époque. Mais, aux yeux des orphelins, la somme d’argent promise n’était pas satisfaisante. En fait, ils considéraient les sommes offertes comme davantage symboliques et souhaitaient, étant donné les torts maintenant admis, des compensations réelles et plus considérables. Selon eux, peu importait le dévouement du monde religieux de l’époque, une telle injustice exigeait une réparation exemplaire. Il faut mentionner que des cas semblables auraient été réglés dans d’autres provinces par des sommes beaucoup plus élevées.

En septembre 1999, la communauté religieuse québécoise a annoncé qu’aucune excuse ne serait faite aux orphelins, considérant le travail difficile qu’elle avait effectué au moment des faits reprochés. Aux dires de Marie-Paule Malouin, une historienne spécialisée dans l’étude de l’enfance en difficulté, les religieuses auraient voulu conserver le dessein éducatif des établissements comme Mont-Providence. C’est donc faute de l’appui de l’autorité religieuse, que les religieuses auraient abdiqué. Néanmoins, selon un travail de recherche en études socio-économiques, rédigé par Martin Poirier et Léo-Paul Lauzon de l’UQAM, les communautés religieuses auraient, en transformant les écoles en hôpitaux psychiatriques, mis la main sur 70 millions de dollars de revenus supplémentaires.

En 2001, Bernard Landry a proposé un montant de réconciliation de 25 000$ à verser à chaque orphelin. Cette offre a été acceptée et en contrepartie, les orphelins ne pouvaient plus engager de poursuites contre la communauté religieuse.

En décembre 2006, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il indemniserait, par une somme de 15 000$ les 1700 orphelins de Duplessis qui n’avaient pas été indemnisés en 2001. La cause de ces orphelins ne s’était pas insérée dans le cadre de l’indemnisation de 2001, car ils n’avaient pas été internés dans un hôpital psychiatrique, mais avaient subi des sévices (sur le plan physique et mental) dans des orphelinats.

Pour finir, notons qu’une étude, menée à l’Hôpital Général Juif de Montréal, estime que les orphelins de Duplessis vivent maintenant un bien-être plus faible et une détresse plus grande que la population en général. Selon ce que rapporte également Radio-Canada, 46 % des orphelins de Duplessis sont prestataires de l’assurance emploi ou de l’aide sociale.

Somme toute, de telles données concernant la situation économique et sociale actuelle des orphelins de Duplessis, tout comme le récit que nous venons de faire de leur histoire difficile, poussent à croire que ces individus méritaient probablement bel et bien que leurs souffrances soient reconnues pleinement par des excuses et des indemnisations financières.

Références :

APRIL, P. (1999). Le premier ministre présente des excuses officielles. Journal de Montréal, 5 mars.
DELANNOY, C. (2006). Au risque de l’adoption. Paris : La Découverte.
DUFOUR, R. & GARNEAU, B. (2002). Naître rien : Des orphelins de Duplessis, de la crèche à l’asile. Sainte-Foy : Éditions MutiMondes.
GAUDREAU, J. (1997). L’été 1961 au Mont-Providence de Rivière-des-Prairies : Souvenirs psychométriques à verser au dossier des Enfants de Duplessis. Prisme, vol.7, no.2, p.434-438.
GILBERT, L. (1997). Pour tourner la page sur les Enfants de Duplessis : Le Protecteur du citoyen demande une entente à l’amiable. Le Soleil, 23 janvier.
NOËL, A. (1999). Jacoby proposait plutôt 100 millions aux orphelins de Duplessis. La Presse, 6 mars.
NOËL, A. (2001). Les orphelins de Duplessis sont plus nombreux à vivre dans l’isolement que les Québécois de même condition. La Presse, 26 mai.
POIRIER, M. & LAUZON, L. P. (1999). Aspects économiques liés à la problématique des « Orphelins de Duplessis ». En ligne, consulté le 2 octobre 2007.
PRESSE CANADIENNE (1999). Le fonds de 3 millions : « Une grosse farce », selon Bruno Roy. Journal de Montréal, 5 mars.
RADIO-CANADA (2006). Orphelins de Duplessis : Enfants d’asile. En ligne, consulté le 19 avril 2007.
RADIO-CANADA (2006). Réparations pour les orphelins « oubliés ». En ligne, consulté le 5 février 2007.
SLOUTSKY, V. M. (1997). Institutional care and developmental outcomes of 6- and 7-year-old children : A contextualist perspective. International Journal of Behavioral Development, vol. 20, no. 1, p.131-151.
TREMBLAY, G. (1993). De la crèche à l’asile : secouées par le scandale, quatre religieuses racontent le parcours des enfants abandonnés sous Duplessis. Châtelaine, vol. 34, no. 4, p.57-65.
TURENNE, M. (1997). La véritable histoire des Orphelins de Duplessis. L’Actualité, vol. 22, no. 11, p.54- 58.
VAN DE SANDE, A, & BOUDREAU, F. (2000). Les orphelins de Duplessis. Nouvelles pratiques sociales, vol. 13, no. 2, p. 121-130.
VERRIER, N. (n. d.). NancyVerrier.com – Home. En ligne, consulté le 16 septembre 2000.
[1] En langage plus familier, l’énurésie nocturne consiste à « faire pipi au lit ».

Rédaction:
Simon Coulombe, stagiaire au baccalauréat en psychologie
Sous la supervision de Mme Monique Lecours, psychosociologue et directrice générale, ainsi que de Mme Christine Germain, intervenante psychosociale pour les Groupes Familiaux de Retrouvailles Apprivoisées
La Cigogne, Journal de la Fédération des parents adoptants du Québec, Automne 2007

(original) http://www.quebecadoption.net/adoption/locale/duplessis.php

1 commentaire:

  1. Le 12 aout 1954 un arrêté ministériel provincial accorde au Mont-Providence l’octroi promis de trois millions. Le premier versement d’un million s’effectue le 13 octobre 1954 et est suivi de feux autres versements identiques durant les deux années subséquentes.
    En avril 1954, Le Mont=Providence, du fait qu’il devient un hôpital psychiatrique, est placé sous la juridiction de l’hôpital (St Jean de Dieu) aujourd’hui Hôpital Hyppolite Lafontaine. L’institut compte à l’époque 411 enfants dont 1/5 environ sont des enfants légitimes et 4/5 des enfants illégitimes : 211 filles dont 4/5 des enfants provenant des crèches
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